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Quelques commentaires sur le budget 2014: la misère de la pensée économique post-révolution!
Tunisie - Économie 04.01.2014
Les discussions sur la loi de finances complémentaire pour l’année
2013 et le budget de l’Etat pour la nouvelle année 2014 ont permis de recentrer
le débat public sur les questions économiques. C’est l’un des rares moments de
l’année où l’économie a eu droit de cité. En effet, les questions politiques
ont dominé l’espace public et ont monopolisé la parole. Une situation qui
s’explique par l’impasse qu’a connue le processus de transition au cours de
l’année en cours. Les assassinats lâches de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi
et d’autres militants politiques, les attentats qui ont visé les forces de
sécurité et l’avènement de la violence terroriste ont plongé le pays dans une
grave crise politique avec le retrait des députés de l’opposition de
l’Assemblée nationale constituante et le blocage des travaux de la
constitution. Cette crise politique et les fortes mobilisations lors de l’été
2013 ont été à l’origine du lancement du dialogue national sous la houlette du
quartet qui a cherché à dénouer l’impasse politique et à ouvrir une nouvelle
phase dans le processus de transition.
Cette impasse politique et les risques de dérive face à la menace terroriste
ont été à l’origine d’une exacerbation des débats politiques. Ils ont également
marginalisé les autres questions, notamment les questions économiques et
sociales, qui ont pourtant porté la contestation au moment des révoltes de
décembre 2011 et ont mis la question de l’inclusion sociale au centre du débat.
Cet enfermement du débat public et du dialogue national dans un échange
politique, perçu pour beaucoup comme politicien et déconnecté des
préoccupations immédiates des gens, et l’incapacité des différents
gouvernements à apporter des débuts de réponse aux questions du chômage et à la
marginalité des régions de l’intérieur ont été à l’origine d’un désenchantement
du politique et d’un désintérêt grandissant de la chose publique.
La problématique du
développement au cœur du débat public
Les débats budgétaires ont fourni l’occasion à la classe politique
et aux experts de remettre les questions économiques et la problématique de
développement et de l’inclusion au cœur du débat public. Mais, même cette
opportunité pourrait bien devenir une occasion manquée tellement le débat s’est
enfermé dans un échange technique sans aucune profondeur stratégique et sans
une vision globale sur les perspectives d’avenir de notre économie. Car,
rappelons-le, dans tous les pays démocratiques les discussions budgétaires,
au-delà des simples questions techniques, sont avant tout un moment de
réflexion stratégique de toute la nation sur sa vision de l’avenir et les
moyens de contribuer par le biais du budget et de l’action publique à nourrir
et à préparer les pays à la construction d’un nouveau modèle de développement
et un projet de société.
Toute la question est de savoir si nous avons réussi à donner au débat
économique sa profondeur stratégique? Il s’agit de savoir si le débat et
l’action économique ont réussi à mettre les questions de l’inclusion, de la
transparence et de la bonne gouvernance non seulement au centre de nos débats
mais également au cœur de l’action publique? Avons-nous réfléchi sur les gains
des printemps arabes et des transitions en cours dans le domaine économique?
Avons-nous entamé un échange sur les canaux qui vont nous permettre à nos
économies de tirer les dividendes des transitions en cours ? Avons-nous
commencé une réflexion sur les institutions à mettre en place afin de
capitaliser les dividendes et les bénéfices de la fin de l’autoritarisme, de la
corruption et du népotisme ? Avons-identifié les gains qui pourraient provenir
d’une plus grande égalité des chances et des politiques plus stables et
crédibles ? Avons-nous pris la mesure des facteurs qui pourraient remettre en
cause cette transition et nous empêcheraient de bénéficier de ses dividendes?
Avons-nous déterminé les réformes à mettre en place et avons-nous réussi à
mobiliser les alliances nécessaires à leur mise en œuvre ? Mais, surtout
avons-nous été en mesure de définir les contours des questions de l’inclusion
et de la durabilité qui doivent être au cœur de notre nouveau modèle de
développement? Enfin, comment intégrer ces dimensions dans de nouvelles
politiques économiques de rupture avec celles qui nous ont enfermés dans un
modèle de développement dépassé?
Or, force est de constater que le débat économique post-révolution
n’a pas réussi à parvenir à la hauteur des défis ouverts par la période de
transition et cette quête sans précédent de liberté et d’inclusion. La
réflexion économique est restée prisonnière de deux discours économiques
convenus. Le premier est l’héritier de la tradition orthodoxe qui cherche à
poursuivre les politiques d’antan et qui ont montré leurs limites en Tunisie
comme ailleurs conduisant à l’impasse et en mettant l’accent sur les grands
équilibres macroéconomiques faisant l’alpha et l’oméga de toutes les stratégies
de développement. Ces politiques ont nourri l’exclusion et les inégalités qui
seront à l’origine des contestations et des printemps arabes. L’autre discours
est celui de la contestation et du rejet des modèles passés. Il s’agit d’un
discours qui était au cœur des mobilisations sociales et qui éprouve
aujourd’hui les plus grandes difficultés à se traduire dans des politiques
crédibles et capables de sortir le pays de sa crise et de lui ouvrir de
nouvelles perspectives de développement.
Ainsi, le débat économique post-révolution semble enfermé entre la poursuite de
schémas dépassés et la contestation de l’ordre établi. Cet enfermement explique
la pauvreté du débat économique aujourd’hui dans notre pays. Les rares
conversations économiques portent sur des questions ponctuelles imposées par
l’actualité pressante. Ainsi, en est-il pour la question de l’inflation lorsque
les prix ont commencé à monter en flèche. Il en est aussi du débat sur le taux
de change lorsque le dinar a commencé à chuter inexorablement vis-à-vis des
devises étrangères avec ses effets en termes d’inflation importée ou de
l’accroissement du fardeau de la compensation avec l’augmentation des prix de
nos importations en énergie ou pour certaines denrées alimentaires. C’est aussi
le cas du débat sur la compensation lorsque les ressources qui lui sont
consacrés dans le budget de l’Etat ont explosé réduisant de manière forte
l’espace fiscal de l’Etat et sa capacité à augmenter ses dépenses
d’investissement en faveur des régions de l’intérieur.
Sortir des sentiers battus
Parallèlement à l’actualité, l’ordre du jour du débat économique
est fixé par les rumeurs qui, faut-il le dire, se sont multipliées ces derniers
mois. Elles ont porté sur la faillite imminente des banques, d’une compagnie
nationale ou l’incapacité de l’Etat à assurer ses obligations et notamment le
paiement des salaires. Ces rumeurs sont nourries par des informations erronées
et parfois même par nos messieurs Doom ou Catastrophe et autres spécialistes
des mauvaises nouvelles. Ce contexte conduit certains organismes publics à
multiplier les communiqués de presse pour rassurer une population au bord de la
crise de nerfs face aux progrès limités dans la lutte contre l’exclusion et la
construction de nouveaux modèles de développement.
Le débat et la réflexion économique paraissent aujourd’hui courir derrière
l’actualité politique, économique et sociale ou se battre contre les rumeurs et
les fausses nouvelles. Ils ne sont pas encore inscrits dans une démarche
positive qui leur permet de mettre au cœur du débat public les questions
stratégiques liées à l’avenir de notre économie. La question du nouveau modèle
de développement, par exemple, est évoquée par bribes dans différentes réunions
ou dans des contributions journalistiques sans que nous puissions en saisir les
enjeux ni en déterminer les contours. La question de l’avenir de la
compensation des produits de l’énergie et des produits de base reste circonscrite
aux grandes incantations sur la nécessité de mieux cibler cet appui afin qu’il
bénéficie à ceux qui en ont besoin.
A qui revient la responsabilité de cette pauvreté et misère de la réflexion
économique post-révolution ? Il n’est nullement dans notre intention de faire
assumer cette responsabilité au gouvernement ou aux autres institutions de la
transition seules. Cette responsabilité est de notre avis collectif. Elle est
portée par tous les acteurs économiques, politiques et sociaux. Au préalable,
cette responsabilité revient aux économistes et aux experts de tout bord qui
n’ont pas réussi à structurer un espace de débat et de réflexion sur les
questions économiques comme a réussi à le faire la communauté des juristes à
propos de la Constitution. Les économistes doivent se mobiliser plus dans le
cadre de leurs associations, de nouveaux think tanks et des différents lieux
disponibles afin d’encadrer le débat sur les questions de développement, en
fixer les règles pour lui procurer la rigueur et la précision nécessaire et
l’orienter également vers l’action afin qu’il éclaire les choix et les prises
de décision publique. Les autres institutions comme les partis politiques, les
syndicats ou les associations de la société civile peuvent contribuer à l’enrichissement
du débat et de la réflexion économique en lui ouvrant leurs espaces et en
mettant ces questions au cœur de leurs activités.
La sortie des limites du débat économique et son enrichissement sont d’autant
plus importants que les périodes de crise sont toujours des moments de grande
inventivité dans la réflexion économique. En effet, les développements majeurs,
les nouvelles constructions théoriques ou les innovations des politiques
économiques sont nées dans les moments de grande instabilité. Ainsi, la théorie
générale et les enseignements du maître de Cambridge, le grand économiste John
Maynard Keynes, a pris forme dans le grand tsunami que l’économie mondiale a
connu durant la grande dépression de 1929. A cette occasion, le maître de Cambridge
a mis à l’ordre du jour les limites des marchés dans la régulation de l’ordre
marchand. Cette grande nouveauté théorique pour l’époque a été à l’origine d’un
développement majeur de la politique économique et fera des politiques de
demande et de relance les piliers des Trente Glorieuses que le monde occidental
connaîtra après la seconde guerre mondiale.
Dans les moments de rupture et de remise en cause de l’ordre économique établi,
les penseurs redoublent de créativité et d’inventivité pour comprendre les
racines du mal et surtout suggérer les stratégies et les politiques pour mettre
les économies sur la voie d’une croissance durable. Comme les grandes crises
dans les pays développés, les printemps arabes constituent une rupture majeure
dans les cycles et les trajectoires économiques de nos contrées. Cette rupture
a exacerbé l’essoufflement des modèles de développement économiques et
l’incertitude ambiante. Elle exige des réponses nouvelles pour sortir de la
dépression et renverser le cycle économique et offrir une nouveau modèle de
développement. C’est au débat, à un échange économique et à une réflexion qui
sort des sentiers battus d’apporter des réponses ambitieuses aux défis du
moment.
Hakim Ben Hammouda.
Source : Leaders
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