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La Banque Mondiale dévoile l'ampleur des détournements de l'ancien régime
Tunisie - Économie & Politique 31.03.2014
Selon une étude de la Banque Mondiale, la famille de l'ex-président
Ben Ali et des proches du régime ont bel et bien manipulé la réglementation à
leur avantage. Mais il y a plus grave : selon les auteurs de l'étude, la
structure réglementaire créée par l'ancien régime reste en grande partie
inchangée aujourd'hui.
La banque Mondiale vient de publier une étude qui vient prouver ce
que tout le monde savait déjà : l'ancien régime tunisien s'est servi de la
réglementation en vigueur et a créé de nouvelles lois pour servir les intérêts
de la famille de l'ex-président Ben Ali et des proches du régime. Cette étude
vient cependant à la fois quantifier et démontrer les mécanismes de cet
accaparement à grande échelle. La réglementation a été manipulée au point que
ce groupe de privilégiés avait la mainmise, à la fin de 2010, sur plus de 21 %
des bénéfices réalisés par le secteur privé dans le pays.
Capitalisme de copinage
Intitulée All in the Family,
State Capture in Tunisia, l'étude est publiée le 28 mars dans la série des
documents de travail de la Banque Mondiale consacrés à la recherche sur les
politiques. Ses auteurs concluent que le "clan" de l'ancien dirigeant
tunisien, défini comme le groupe de personnes reconnues coupables de corruption
dont les biens ont été confisqués, a investi dans des secteurs lucratifs dont
l'accès était protégé, principalement par un système d'autorisations préalables
et le recours aux pouvoirs exécutifs pour modifier la législation en faveur du
régime, créant ainsi un système à grande échelle de capitalisme de copinage.
Les auteurs ont établi une base de données unique portant sur 220
entreprises liées à Ben Ali et recensées par la commission de confiscation
créée peu de temps après le soulèvement de 2011 afin de recenser et de
confisquer les biens appartenant aux proches de l'ancien président Ben Ali.
L'analyse des données de la commission révèle que les entreprises étudiées
étaient étroitement liées à la famille de l'ancien président. L'examen des
données des entreprises et des décrets signés par Ben Ali sur une période de 17
ans prouve que la législation a souvent servi à promouvoir les intérêts du clan
et à les protéger de la concurrence. Les données collectées font état de 25
décrets promulgués au cours de cette période qui introduisaient de nouvelles
exigences d'autorisation préalable dans 45 secteurs différents et de nouvelles
restrictions en matière d'investissements directs étrangers (IDE) dans 28
secteurs. Conséquence : plus d'un cinquième des bénéfices du secteur privé
revenait aux entreprises des proches du régime.
"Cette étude apporte une confirmation irréfutable que
l'ancien régime a bénéficié du capitalisme de copinage", remarque Bob
Rijkers, chercheur au département de la recherche de la Banque mondiale et
auteur principal de l'étude. "Nous démontrons que l'action interventionniste
de l'État dans le secteur industriel profitait à la famille du président et
servait en fait à camoufler un système de rentes. Il est en effet prouvé que
l'État a permis aux membres du régime à la recherche de rentes d'accaparer une
partie importante du secteur privé en mettant les entreprises proches de la
famille à l'abri de la réglementation en vigueur ou en leur octroyant des
avantages particuliers. Plus pernicieux encore, nous avons la preuve que les
règlements ont été aménagés pour servir des intérêts personnels et favoriser la
corruption".
Une ouverture apparente
Selon l'étude de la Banque, l'ouverture du cadre réglementaire du
pays portant sur l'investissement prive n'était qu'apparent et l'attitude
favorable de l'ancien régime à l'égard du développement du secteur privé
cachait les pratiques discriminatoire et les problèmes sous-jacents de
l'économie tunisienne. L'ouverture de la Tunisie a été en grande partie un
mirage, de vastes pans de l'économie étant fermés et nombre d'entre eux étant
aux mains d'intérêts proches du régime.
La corruption de la famille Ben Ali était notoire et constituait
une source de frustration manifeste pour la population tunisienne, comme en
témoigne le pillage ciblé et systématique des propriétés du clan après le
soulèvement de 2011. Pourtant, les preuves de corruption étaient jusqu'ici en
grande partie anecdotiques, à l'instar des communications de l'ambassade des
États-Unis dévoilées par Wikileaks et des histoires circulant sur la fermeture
d'écoles privées en concurrence avec celles des proches du régime. À l'analyse,
cependant, les données révèlent que ces anecdotes étaient non seulement vraies,
mais aussi révélatrices d'une perversion systématique de la politique
industrielle du pays.
Une structure inchangée
Cependant, il y a presque plus grave : le système mis en place
perdure encore aujourd'hui. En effet, selon les auteurs de l'étude, la
structure réglementaire créée par l'ancien régime reste toutefois en grande
partie inchangée aujourd'hui.
"Le problème du capitalisme de copinage ne concerne pas
seulement Ben Ali et son clan : il demeure l'un des principaux problèmes de
développement auxquels la Tunisie est confrontée aujourd'hui", commente
l'économiste de la Banque mondiale Antonio Nucifora, économiste principal pour
la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA).
"Trois ans après la révolution, le système économique qui
existait sous Ben Ali n'a pas changé de façon significative. À la faveur de la
révolution, les Tunisiens se sont débarrassés de l'ex-président Ben Ali et des
pires aspects de la corruption, mais les politiques économiques restent
largement intactes et sujettes à des abus. Le cadre de politiques publiques
hérité de l'ère Ben Ali perpétue l'exclusion sociale et favorise la corruption".
Source : Jeune Afrique
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