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Développement économique futur de la Tunisie: maux et remèdes
Tunisie - Économie 15.01.2014
Le débat sur le modèle économique à adopter dans les années à
venir, les défis que la Tunisie du 21ème siècle doit relever, l’absolue
nécessité de la mise en œuvre d’une politique qui apaise les esprits révoltés
et ramène la paix sociale sont des sujets qui intéressent bien évidemment tous
les Tunisiens mais sur lesquels les différents acteurs sociaux doivent bien
évidemment se prononcer.
Ce qui frappe l’observateur, c’est que le débat politique en Tunisie est
polarisé par la forme du pouvoir futur et l’organisation de l’exécutif alors
que les questions du développement et du devenir économique et social
passent au second plan.
Or, le cœur du problème tunisien n’est pas politique mais par essence
économique et psychologique.
Le développement économique de la Tunisie qui se fait actuellement
à un rythme très insuffisant souffre à mon sens de trois tares ou défauts :
1. Un défaut organisationnel
2. Un défaut structurel
3. Un défaut conceptuel
Sans réponse rapide et immédiate du prochain gouvernement pour
pallier à ces défauts, tous les investissements du monde ne pourrons sortir la
Tunisie de la crise dans laquelle elle s’est enfoncée.
D’ailleurs non seulement depuis la révolution mais certainement bien
avant, probablement depuis les années 80 quand l’Administration bourguibienne
atteint ses limites au niveau de la gestion correcte du pays.
Nos décideurs actuels et futurs auront tout intérêt à lire attentivement ce qui
va suivre. Ils pourront ainsi s’épargner bien d’effort et optimiser au mieux
les investissements avec le meilleur rendement possible.
1- Le défaut Organisationnel
La division administrative de la Tunisie en plusieurs gouvernerats
est la principale source de problèmes et de conflits entre l’état hyper
centralisé et le citoyen. Il n’est pas étonnant que depuis la révolution, le
nombre de gouverneurs « dégagés » est devenu incalculable. Le gouverneur,
représentant le long bras de l’Etat, est de nos jours plus perçu comme le «
Gaied » d’autres fois: plus enclin à prendre qu’à donner, plus prompt à sévir
qu’à servir. L’organisation du gouvernerat en délégations puis en Imadet ne
fait que perpétuer la même structure pyramidale du pouvoir entièrement dirigé
depuis Tunis.
Si au lendemain de l’indépendance, quand l’état devait être partout présent, ce
type d’organisation a permis d’unifier le pays et de rapprocher
l’administration du citoyen. Il donnait au gouverneur, représentant d’un état
généreux, maternaliste et prodigue, un rôle central de premier plan à tous les
échelons de la vie du gouvernerat. Aujourd’hui, alors que les caisses
sont vides, les investissements amorphes, le gouverneur ne peut au mieux
qu’être le représentant d’un état défaillant vis à vis du quel le citoyen a de
moins en moins de considération.
Par ailleurs, le développement des années précédentes qui s’est fait de manière
dysharmonique, privilégiant certaines régions au dépend d’autres a accentué le
ressentiment envers le pouvoir central régulièrement accusé ou de favoritisme
ou de négligence.
Pour sortir de cette situation, la Tunisie doit obligatoirement revoir
son organisation administrative. A mon sens, le modèle à prendre est celui des
cantons Suisses, Autrichiens ou Allemands.
La Tunisie comporte en fait plusieurs régions qui peuvent fusionner et se
transformer en cantons capables de s’autogérer sur le plan économique et
Administratif et bénéficier d’un niveau d’autonomie plus élevé.
Des régions comme le Cap Bon, Le Sahel, le nord-ouest, le centre, le sud-est,
le sud-ouest, le sahara, le grand Tunis peuvent devenir des cantons autonomes,
avec des parlements locaux, des conseils économiques et sociaux locaux, des
plans de développement spécifiques, des Universités propres, des
politiques de recherche des investisseurs propres, un commerce transrégional et
extérieur propre. Elles pourraient bénéficier de leurs propres aéroports, de
leurs propre politique fiscale etc.. La politique économique qui sied au
développement de Sousse ne peut être forcément la même que celle de Gafsa ou du
Kef. Chaque région a ses particularités, chaque région doit trouver les
solutions et les moyens qui lui conviennent.
Prenons comme exemple la crise actuelle du bassin minier et voyons
comment elle peut être facilement résolue si ce type d’organisation est
adopté. Le phosphate produit dans la région du sud-ouest est vendu à la
région du sud-est où existent les usines pour le traiter et les ports pour
l’exporter. L’argent du phosphate brut reste dans le sud-ouest où il servira à
développer cette région. L’argent qui revient de la vente des dérivés du
phosphate restera dans le Sud-Est où il contribuera aux investissements dans
cette région et à la lutte contre la pollution engendrée. L’état national
percevra uniquement un pourcentage sur les transactions effectuées.
Ce modèle Organisationnel devrait être reproduit au sein même des régions et au
niveau municipal. Partout le citoyen devra être amené à prendre part aux
décisions relatives à la vie de son quartier, de son village, de sa ville, de
sa région. Nous gagnerons à rendre le Tunisien plus responsable et plus à même
de s’investir positivement dans la vie publique.
Plutôt que d’avoir quotidiennement des cohortes de manifestants dénonçant
l’inaction du pouvoir central dans les villes des régions défavorisées
nous gagnerons à les voir en congrès ensembles à réfléchir sur le développement
qui leur convient.
2- Le défaut Structurel
L’état Tunisien tel qu’imaginé par le grand leader que fut Habib
Bourguiba est un état qui repose entier sur la personne du président de la
république. C’est un modèle familial à la base avec Bourguiba pour représentant
symbolique du père et l’état qui subvient à tout pour représentant symbolique
de la mère. Le citoyen, mineur à vie ne pouvait que se comporter comme un bon
élève appliqué pour mériter la satisfaction de ses deux parents et tout
égarement était sévèrement puni. Le meurtre du père bienfaisant accompli par
Ben Ali et son remplacement par un père féroce, suivi par le tarissement de
l’état providence, a abouti à la révolution de 2011. L’Etat, que la
Troika a, tant bien que mal, essayé de mettre en place, ne ressemble à rien de
ce que les Tunisiens ont l’habitude de connaître, c’est ce qui explique
d’ailleurs la relative popularité d’un Béji Caied Essebsi ou d’un Rached
Ghannouchi par exemple. La faiblesse de l’état entraine comme d’habitude
le développement des organisations criminelles et l’irrespect de la
loi. Comment recréer des structures opérantes de l’état, efficaces au niveau du
citoyen ayant les moyens de se faire respecter sans retomber de nouveau dans le
despotisme, la personnification du pouvoir et sans perpétuer l’infantilisation du
citoyen.
En d’autres termes, comment cesser avec l’état bicéphale
(Pouvoir-Administration) et aboutir à un état capable de faire respecter tout
en étant accepté par le citoyen ? La seule solution est la création d’un
structure tierce, totalement indépendante de l’état et du citoyen et capable de
tempérer les excès des uns et des autres. Cette structure c’est la Justice !
Jusqu’à aujourd’hui, ni pendant la colonisation, ni pendant le règne du parti
Destour, ni après la révolution, la justice n’a pu avoir accès à une véritable
indépendance. Les juges n’ont pu ou su défendre leur statut. Relégués au rang
de vulgaires fonctionnaires sous le règne de Ben Ali, ils n’ont pu profiter de
la révolution pour assoir un véritable troisième pouvoir. La longue période ou
il semblait facile à certains de s’acheter les faveurs d’un juge, ainsi
que la soumission volontairement acceptée de quelques uns aux directives
du palais de carthage ou à celle du ministère de tutelle, a collé à ce corps de
métier des casseroles qu’il traine à ce jour. Pourtant, l’indépendance totale
et parfaitement assumée de la justice est le seul garant de la force de l’état
quand il saura se prévaloir de la force de la loi et de l’acceptation du
citoyen de cette même loi qui fera de lui un citoyen au plein sens du terme,
discipliné et responsable.
De même, à l’intérieur de l’administration tunisienne, le système pyramidal est
encore en place, peu de place est donnée à la concertation, l’écoute, le
conseil. Petit dictateur dans son palais le responsable de l’administration n’a
d’autres soucis que de soumettre ses subordonnés et de plaire au chef. La chose
publique importe peu, ce qui compte c’est le statut, l’avancement, le grade.
Dans une administration complexe, où trop de personnes sont employées à ne rien
faire, où trop de privilèges sont donnés à de multiples improductifs au
détriment de ceux moins nombreux qui s’échinent à maintenir le bateau à flot,
le principe de Peter règne dans tous les esprits. Selon ce principe, « dans une
hiérarchie, tout employé a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence »
avec le corollaire que: « Avec le temps, tout poste sera occupé par un employé
incapable d'en assumer la responsabilité. »
Là aussi, le nouvel état a un énorme travail à faire. Récupérer les sans
tâches, créer de nouvelles fonctions et y affecter les fonctionnaires en
surplus dans les administrations, encourager le départ et la création
d’entreprises privées, lier d’avantage le salaire au rendement, rééduquer,
remettre la formation continue au gré du jour, améliorer la transparence, sévir
contre la corruption à toutes les échelles, mais aussi découvrir les
compétences, leur donner les moyens de servir et d’agir pour le bien public. Il
faudra probablement diminuer le nombre des fonctionnaires, revenir sur des
nominations récentes et moins récentes, accordées avec facilité à certains
pistonnés qui n’ont fait que dilapider d’avantage le bien public.
La Tunisie décollera d’autant mieux, que son administration saura se montrer
efficace et transparente. Le citoyen y percevra une structure à son service
plutôt qu’une émanation étatique pour compliquer ses affaires et ses projets.
3- Le Défaut conceptuel
Il s’agit ici de revoir et de réparer la vision de l’état par le
citoyen et de redéfinir son rôle. Depuis l’aube de l’indépendance, le citoyen
était tenu pour mineur par l’état qui se comportait en toute circonstance en
tuteur. L’hypercentralisation du pouvoir a crée une génération d’assistés et de
soumis dont la vie dépend du bon vouloir de Tunis. Il n’ y a qu’à voir les
manifestations quotidiennes ici et là dans les régions pour constater combien
l’esprit d’assistanat est ancré chez les jeunes et les moins jeunes. Partout on
demande à l’état de faire, de donner ; de créer, de payer. Une génération qui pense
que par le simple fait d’être tunisien, l’état a envers elle d’immenses
devoirs. Dans l’autre sens on constate qu’il n’ya presque pas de tentatives
d’auto prise en charge, quasiment aucune initiative privée ou très peu, très
peu d’imagination, très peu d’inventivité. Pour l’emploi, seul le modèle du
fonctionnariat semble les attirer. Comme si les soixante ans d’indépendance
n’ont donné pour modèle de réussite sociale dans les régions reculées de la
Tunisie que celui de l’emploi salarié. En contre partie, ces jeunes sont
peu prompt à donner d’eux même à la collectivité. L’armée peine à trouver les
recrues alors que le service militaire est obligatoire, la vie associative dans
les régions reculées est très peu développée. Très peu d’initiatives citoyennes
pour pallier aux questions d’hygiène, de propreté, pour entretenir les édifices
publics les plus proches du citoyens comme les dispensaires ou l’aide urgente à
apporter aux nécessiteux par exemple.
A mon sens, le nouveau gouvernement ne pourra réussir que s’il arrive à changer
les mentalités en faisant du travail bénévole et citoyen au service de la
collectivité un devoir pour tous et une obligation pour les plus jeunes.
Par exemple un programme d’engagement citoyen pourrait être adjoint aux
programmes scolaires et universitaires. Les élèves pourraient être mis à
contribution pour aider à la propreté des villes, à la mise à niveau des
panneaux de signalisation, à la réfection des trottoirs, à l’organisation de la
circulation, à l’accompagnement des élèves handicapés etc.. Les étudiants
pourraient prêter main forte aux forces de sécurité, aux personnes abandonnées
dans les hôpitaux, aux personnes âgées, aux grands chantiers humanitaires. Le
diplôme du bac ou le diplôme universitaire ne saurait être obtenu sans une
vraie expérience de bénévolat et de vie associative.
Par ailleurs un vrai travail de sensibilisation et d’éducation doit être
entrepris, les mass médias et particulièrement les télévisions peuvent être un
excellent moyen de communication. Bien évidemment pour que le message passe il
est impératif que le travail éducatif se fasse de manière indépendante de toute
orientation politique.
Conclusion
La transformation et le développement de la Tunisie afin d’en faire un pays qui progresse, capable de répondre au défis du chômage, du sous développement et de la croissance ne peut se faire sans un triple mouvement :
L’abandon de l’organisation administrative actuelle en gouvernerats et l’adoption d’une nouvelle organisation en régions autonomes économiquement et responsables de leur propre développement
La concrétisation définitive du principe de la séparation des pouvoirs, notamment de la justice qui doit pouvoir jouer son rôle d’arbitre entre un citoyen responsable et un état démocratique tout en donnant au capital la possibilité d’investir en toute sécurité mais aussi en toute transparence, partageant de manière juste les richesses réalisées.
Une action thérapeutique cognitive efficace sur les schémas de pensées du citoyen, de manière à en faire un sujet responsable, jouissant d’un haut niveau d’autonomie, engagé dans la vie publique refusant le statut d’assisté, capable de pense la chose publique avec un haut niveau de maturité.
Pour ce faire, la vraie révolution reste encore à faire, celles des mentalités, celle de l’administration, celle de l’école, celle de l’économie, celle de la justice, la seule qui peut répondre au formidable espoir nait un certain 14 Janvier 2011 et dont la flamme, malgré les vents mauvais qui soufflent de partout est encore vivace.
Dr Sofiane Zribi
Psychiatre
Source : Leaders
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